Singulière aventure que de préparer un cahier théâtral en pleine crise sanitaire. Pendant la rédaction, me revenait sans cesse en tête la célèbre nouvelle Le Masque de la Mort Rouge d’Edgar Allan Poe. J’avais l’impression ferme d’être Prospero, grand prince convoquant ses invités à un bal costumé alors que, derrière les murs de son château, une terrible peste décimait son peuple. Car il est vrai que, dans le confort bourgeois de mon confinement, je préparais une fête théâtrale qui n’aurait peut-être pas lieu. Bien étrange sensation que d’orchestrer et de réfléchir un théâtre fantôme. Comme une parole suspendue à un cintre, remisée au placard. Pas la bonne saison, semble-t-il. Pendant des mois, je regardais bien impuissant nos arts vivants s’agiter pour se maintenir à flot. Des tentatives de théâtre cathodique. Des orchestres écartelés en centaines d’écrans, chaque musicien tentant de s’agripper à un accord commun. Je regardais, amusé, les lutteurs professionnels dans leur ballet casse-gueule se démener dans une salle sans public ; se chuchotant à l’oreille la prochaine prise fatale. Un théâtre « réinventé ». La belle expression trompeuse. Expression piège.