Quelle a été l’impulsion de ce travail d’adaptation textuelle puis scénique ?
Il s’agit de votre deuxième adaptation d’un roman vers le théâtre. Qu’est-ce qui vous intéresse dans le processus d’écriture et particulièrement dans le fait de faire passer une histoire d’un livre à une scène de théâtre ?
Au fil des laboratoires, j’ai découvert que pour moi deux trames principales se dégageaient du texte. Premièrement, la réflexion sur comment une œuvre peut nous marquer, comment elle nous influence, nous transforme. Il s’agit de toute la partie de l’analyse de l’œuvre de Stanley Kubrick. La deuxième trame est celle de la réflexion à savoir comment une généalogie, qu’on pourrait qualifier de macabre dans ce cas-ci, s’inscrit en nous. Qu’est-ce que notre histoire laisse comme trace en nous ? Je me suis concentrée sur ces deux trames-là et j’ai cherché à déterminer comment les articuler, comment les faire résonner et dialoguer.
Les effets de miroir, de caléidoscope et de mise en abyme sont très importants à la fois dans le film de Kubrick et dans le livre de Simon Roy. Comment les intégrez-vous sur la scène ?
Vous travaillez sur Ma vie rouge Kubrick depuis un bon moment et il y a déjà eu différents contextes de présentation.
Racontez-nous un peu le parcours de cette œuvre.
C’est un travail qui s’étend sur une longue période, avec plusieurs étapes, qui ont toutes laissé des traces et des couches de sens dans le spectacle tel qu’il est actuellement. Le premier laboratoire a eu lieu en 2018. J’avais alors sollicité quatre comédien·ne·s : deux frères, et deux comédien·ne·s qui avaient un casting similaire. Je voulais creuser la question de la gémellité et du double. En intégrant de la danse et des mouvements, on avait fouillé la dynamique du double style Dr Jekyll et de M. Hyde. Comment est-ce que le corps permet d’avoir accès à la part d’ombre, la part animale et instinctive du personnage ? Pour ce premier laboratoire, j’avais utilisé un enregistrement de la première entrevue radio que Simon a donnée afin d’explorer le rapport fiction / réalité en mettant de l’avant la figure publique de l’auteur. Cette première étape a servi à développer un vocabulaire physique et visuel pour la suite.
Lorsque s’est présentée la possibilité de faire une lecture-spectacle au Festival international de la littérature (FIL), j’ai engagé Marc-Antoine Sinibaldi pour incarner ce barman. Et les représentations de l’automne 2023 dans le cadre du FIL ont remporté un tel succès que ça a été une évidence qu’il fallait poursuivre le projet avec cette figure. Par la suite, Maxim a dû se retirer parce qu’il était pris ailleurs. C’est là que Mickaël Gouin est arrivé dans le processus et finalement, j’ai de nouveau modifié le texte pour en faire vraiment une partition à deux voix, partagée entre Mickaël et Marc-Antoine. En fin de compte, cette version-ci, celle qu’on présente à Fred-Barry, est ma préférée de toute celle sur lesquelles on a travaillé jusqu’ici !
Aparté – Anecdote savoureuse :
« Au début, Simon Roy écrivait Ma vie rouge Kubrick sans avoir un désir clair de publier. Il voulait seulement approfondir son analyse du film The Shining et mettre par écrit ce qu’il partageait avec ses étudiant·e·s.
À un certain moment, la question a surgi : qu’est-ce que je fais avec ça ? Il l’a alors envoyé aux Éditions du Boréal et c’est le journaliste, écrivain et critique littéraire Robert Lévesque qui l’a reçu. Après sa lecture, Lévesque a appelé Simon pour demander à le rencontrer. Pour le moment, lui a-t-il dit, ce manuscrit, c’est une simple analyse de film, aussi intéressante soit-elle. Si vous voulez aller plus loin avec ça et arriver à captiver un·e lecteur·ice qui ne soit pas aussi mordu de cinéma que vous, il va falloir que vous ailliez fouiller votre Overlook Hotel[1] à vous.
Simon est reparti avec ça et il a décidé d’écrire de nouveaux segments, dans lesquels il puise dans son histoire personnelle. Évidemment, même s’il y a des éléments de son livre qui sont inspirés du réel, d’autres sont complètement extrapolés, inventés. Mais voilà comment le roman s’est construit : il y a d’abord eu les éléments sur The Shining, puis il est venu insérer de nouveaux chapitres qui amenaient une autre trame à son manuscrit original.
[1] Le nom de l’hôtel dans lequel se trouvent les personnages de The Shining, symbolisant un lieu hanté, habité par de secrets et des traces indélébiles du passé.