L’histoire d’Iphigénie, cette pure jeune fille destinée à être sacrifiée sur un autel pour expier les fautes de ses ancêtres, remonte à la mythologie grecque, c’est-à-dire à un vaste réservoir de légendes et de croyances dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Entièrement soumise à un destin sur lequel elle n’a aucune prise, Iphigénie est l’image même de la victime innocente ; sa beauté, sa candeur et sa juvénilité ont ému des générations d’écrivains.

Fille aînée d’Agamemnon et de Clytemnestre, sœur d’Oreste et d’Électre, Iphigénie appartient à une fabuleuse lignée de héros et de demi-dieux. Sa mère est née de l’union de Zeus avec une mortelle et son père, guerrier de renom et roi célèbre, est de la race d’Atrée et de Tantale. Si la guerre de Troie, dont est tirée la légende d’Iphigénie, a eu lieu une douzaine de siècles avant Jésus-Christ, ce n’est qu’au huitième siècle, soit quatre cents ans après les événements, qu’Homère en fait mention dans l’Iliade : Iphigénie y apparaît sous le nom d’lphianassa. L’héroïne immolée par son père traversera ensuite les œuvres de divers poètes grecs et latins (Ovide en parle dans ses Métamorphoses), mais c’est surtout au « siècle d’or » du théâtre grec qu’elle se fera célébrer : Eschyle, Sophocle et Euripide, les trois poètes de génie, lui ont tous consacré des tragédies.

L’lphigénie grecque

Les pièces d’Eschyle et de Sophocle sur Iphigénie sont perdues, même si Eschyle fait le récit de son sort dans Agamemnon. D’Euripide, cependant, nous sont parvenues Iphigénie en Tauride et Iphigénie en Aulide, écrites vers 415-405 av. J.-C., et dont l’intrigue suit de près la légende : Agamemnon doit offrir sa fille à la déesse Artémis (Diane) en expiation d’un meurtre, afin que des vents favorables puissent permettre à la flotte grecque d’avancer vers Troie. D’abord terrifiée, Iphigénie se résigne à mourir pour sa patrie et, émue par son courage, la déesse la sauve, remplaçant son corps, sur l’autel, par celui d’une jeune biche. Devenue prêtresse d’Artémis et installée en Tauride, Iphigénie épargnera plus tard à son frère Oreste d’être lui-même immolé.

Morts sanglantes et sacrifices humains ne se comprennent que si l’on se replace dans le contexte mythologique d’alors. Il était impératif pour les Anciens de rendre aux dieux les hommages qui leur revenaient ; les hommes dépendaient des dieux et tous, dieux et hommes, étaient, à un niveau supérieur, soumis au Destin, sans doute la plus grande de toutes les divinités chez les Grecs. Euripide dépeint davantage les passions et le trouble de l’âme humaine que ses deux prédécesseurs, mais son œuvre est encore habitée par la toute-puissance du divin. Iphigénie, vue par lui, ne peut que se soumettre, et son sort en est d’autant plus déchirant ; ce que vise ultimement la tragédie grecque, c’est d’inspirer au spectateur pitié et crainte devant un être qui souffre. […]