Oh! Canada est un projet de longue haleine.
Quelle fut la genèse, l’impulsion de départ ? Et comment s’est déroulé le processus de recherche, d’écriture et de création ?

J’ai aussi toujours été intéressée par la question du fait français au Canada, mais je n’avais jamais vraiment envisagé faire une création là-dessus. Je suis Franco-Ontarienne, artiste francophone en milieu minoritaire, pas particulièrement militante, mon père est unilingue anglophone, donc vivre de façon bilingue, mais aussi faire vivre le français au quotidien, c’était juste un fait pour moi. Mais quand je suis arrivée à Québec pour étudier au Conservatoire d’art dramatique, j’ai eu un gros choc culturel ! J’ai réalisé qu’il y avait une nette différence dans la façon de vivre la langue et d’en parler. C’est aussi quand j’ai commencé à creuser les mécanismes juridiques et législatifs qui protègent la langue par province que j’ai vraiment « pogné de quoi » ! L’impulsion de départ a donc été législative pour moi.

2020 / Source : projetcanada.org

L’importance des faits et la recherche de nuances ont été les moteurs fondamentaux de notre création. On a cherché à bien distinguer ce qui relève des faits et ce qui appartient à notre ressenti. On est bombardé de nouvelles sur le déclin du français régulièrement, en d’autres mots : on est sur le bouton panique ! Et on est très souvent totalement et inconsciemment dans la perception. Mais qu’est-ce qu’il en est, vraiment ? On le voit dans le spectacle, Statistique Canada a été une source d’informations importante et nous a guidé dans nos recherches sur les faits : les recensements, les analyses, les nuances justement, les distinctions à faire. Dans quelles sphères et quels pans de la population la langue française est-elle en déclin ? Oui, le français en tant que langue maternelle parlée par deux parents à la maison et transmise à l’enfant, décline, tout comme la démographie non immigrante d’ailleurs. Mais pour les langues parlées dans la sphère publique, au travail, à l’école, les langues apprises, la situation est loin d’être alarmante et elle est même parfois meilleure dans plusieurs régions du Canada.

Comment les visions des différentes communautés francophones du Canada se rencontrent-elles ?
Avez-vous fait face à certains écueils récurrents ?

Un des écueils réside dans le fait que la Confédération canadienne, c’est une fiction ! Un mariage forcé avec des divergences fondamentales à la base et qui sont encore présentes aujourd’hui. Ce contexte de confédération – qui n’est même pas le bon terme, c’est plutôt une fédération très décentralisée – se répercutent chez les citoyens. Comment peut-on avoir autant besoin du fédéral, alors que pour certains voisins québécois, c’est une prison ? Ça s’appelle l’asymétrie et ça crée une situation qui, pour nous, est insoluble. Il n’y a pas de solutions communes. Elles sont beaucoup plus locales qu’on pense.

Le spectacle est fait pour circuler : vous l’avez joué à Limoges, Ottawa, maintenant Rimouski, Montréal et d’autres endroits à venir. Comment adaptez-vous le texte afin qu’il résonne avec les différentes réalités rencontrées ? 

Alors que je pense qu’à Rimouski ou même à Montréal, l’existence des francophones hors Québec, ça demeure assez flou, assez dur à circonscrire. Et en quoi les compétences provinciales et fédérales sont-elles importantes quand on parle d’enjeux linguistiques ? Par exemple, je ne pense pas que les Québécois·e·s sont au courant que le gouvernement du Québec, dans un esprit nationaliste – qui est tout à fait compréhensible et louable – et pour protéger son autonomie provinciale, a déjà travaillé contre les droits linguistiques des Franco-Canadiens hors Québec. Et ce n’est pas que le Parti Québécois, il y a aussi des partis libéraux qui se sont présentés en Cour suprême pour lutter contre la reconnaissance des droits à l’éducation en français dans d’autres provinces canadiennes. Et je trouve ça fou parce que si tu veux que la langue soit forte et survive, il faut qu’elle soit en épanouissement partout ! On parle souvent de solidarité, mais selon moi il faut se questionner sur le vrai sens du mot, parce qu’on ne peut pas se dire solidaire s’il y a des projets de société contradictoires à ce point.

Mais bref, je m’égare ! Ma hantise, c’était d’être uniquement dans des lieux communs à travers les différentes versions du spectacle, c’est donc très important qu’on ait des discussions avec le public aussi, après les représentations, pour rester dans le questionnement et le dynamisme.

Comment l’actualité récente (la démission du premier ministre du Canada par exemple) peut-elle teinter votre création ?
Et quelles sont les prochaines étapes pour Oh! Canada ?

Un autre exemple de l’actualité qui a teinté la création : en octobre 2024, on a dû couper plusieurs références à Blaine Higgs, l’ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick qui était extrêmement anti-bilinguisme officiel (ce qui veut dire anti-francophone) parce qu’il a été détrôné par une libérale francophone. Tout d’un coup, le vent a changé. Il y a l’espoir d’investissements en immersion française, pour des garderies en français, en arts et culture, etc. Mais en général, le paradigme bouge vers la droite et ça, ce n’est pas bon pour le français au Canada.

Sinon, on est en train de réfléchir aux prochains chapitres sur l’Ouest et le Nord du pays. Et pour nos étapes ultérieures, il nous semble primordial de travailler de pair avec un·e artiste autochtone au cœur du noyau de création pour inclure dans notre recherche une perspective souvent oubliée, que nous n’avons malheureusement pas pu mettre de l’avant dans le premier chapitre en raison de contraintes de temps et d’argent. Parce que c’est une question fondamentale : est-ce qu’on peut défendre la survie et l’épanouissement de la langue française si on ne parle pas de la renaissance, de la protection et de l’institutionnalisation des langues autochtones ? À suivre !