La saison 22-23 est en route. Quoi qu’il advienne, il nous faut les arts vivants toujours et à tout prix. Non pas parce que l’art explique tout, car au contraire, en ce qui nous concerne, le théâtre n’explique rien. Il évoque, il s’immisce, s’installe à peine. Puis il révèle. Soudain il dérive pour subrepticement ouvrir un espace différent à nos pensées. Il donne un souffle aux tremblements. Il réussit à être immensément fécond de son apparente inutilité. Il place notre œil autrement sur l’enfance, l’adolescence, sur le soleil éblouissant et les nuages carbonisés. Sur ce qui était et ce qu’on pourrait être.
Parlant de soleil.
Pour ouvrir la saison, l’écrivaine Evelyne de la Chenelière rencontre Albert Camus, un ami littéraire trouvé au cœur de l’adolescence. À CAUSE DU SOLEIL, une œuvre tout imprégnée de L’Étranger de Camus, nous place face à la justice et à l’insouciance, inventant un immigré algérien au cœur de l’hiver québécois et invitant les personnages de Camus à changer de millénaire. Et sous l’inexhaustible feu du metteur en scène Florent Siaud, à poser encore la démesurée question de l’existence. Beau, profond et durable.
On a marché sur la Lune.
En pleine jeunesse, lorsque les doutes existentiels s’additionnent, le regard se pose sur ce qui nous échappe et dont on voudrait bien conquérir le sens. Docu et fiction, le spectacle SI JAMAIS VOUS NOUS ÉCOUTEZ de Laurence Dauphinais et Maxime Carbonneau nous propulse dans un autre temps sur la sonde Voyager, qui lançait dans l’espace en 1977 le Golden Record dans l’espoir d’entrer en dialogue avec d’autres formes de vie intelligente. La très vigilante compagnie La Messe Basse tente de voir si l’humanité se reconnaît encore dans ce disque rempli d’infos qui flotte dans l’infini depuis 45 ans. Extraterrestre. Énigmatique.
L’art de posséder.
LE FAISEUR, écrite en 1840 par un Balzac qui s’y connaît en dettes, nous offre une famille de joyeux corrupteurs qui jongle avec le sentiment humain aussi amusément qu’avec la monnaie. À l’heure où l’honnêteté est une qualité peu assurable, Gabrielle Chapdelaine signe une adaptation de cette brillante manigance, aussi contemporaine que Balzac lui-même. Et l’émérite Alice Ronfard prend le pari d’enrichir encore l’auteur de La Comédie humaine. Spéculatif. Et si récréatif.
Le vertige des rêves.
Louis II de Bavière, couronné en 1864, est un personnage fascinant de l’histoire européenne. Il est amoureux d’art et d’opéra, constructeur de châteaux, idéaliste, brouilleur de pistes et peut-être queer avant le temps. La pièce de Marie-Claude Verdier convie entre autres, autour et dans ces CHÂTEAUX DU CIEL, l’impératrice Sissi, le chancelier Bismarck et le compositeur Richard Wagner. Dans ce drame romantique, les ambitions de ce souverain idéaliste se heurtent autant à la politique de guerre qu’au vertigineux labyrinthe des sentiments. De ce dédale, je signe la mise en scène avec joie. Fulgurant et déchirant.
La quintessence des créations.
À la Salle Fred-Barry cette saison, l’onirisme et le fantastique teintent les écritures et les formes scéniques. Avec sa pièce BRILLANTE, Clara Prévost crée avec Productions Fil d’or une fable sombre et magique, sans personnage adulte, sur fond de guerre. Le Théâtre du Portage ranime le jeu masqué au cœur d’une tragi-comédie futuriste, PLASTIQUE, dans un monde sans pétrole. Imago Theatre et Tarragon Theatre nous visitent avec REDBONE COONHOUND, où les deux auteurs Amy Lee Lavoie et Omari Newton subliment leur réflexion sur le racisme systémique en une suite de tableaux quotidiens et historiques. Avec LOLITA N’EXISTE PAS du Théâtre de La Foulée, Paméla Dumont défie Nabokov sans gêne et propose une Lolita qui valide son émancipation en road trip. Jolène Ruel coadapte avec Jonathan Caron son propre roman LES DANSEURS ÉTOILES PARASITENT TON CIEL, où une jeune danseuse professionnelle requestionne sa destinée. Le Théâtre du Double signe de Sherbrooke ouvre la saison avec UNE FILLE EN OR, spectacle baroque de Sébastien David
où quatre femmes vivent d’étonnantes métamorphoses. La cinéaste-documentariste Kim O’Bomsawin, d’origine
abénakise, devient commissaire avec les jeunes écrivain·es réuni·es par le Théâtre Le Clou pour LE SCRIPTARIUM 2023 et leur demande : d’où viens-tu?
Retours.
Avant sa tournée du Québec, LA SOCIÉTÉ DES POÈTES DISPARUS créée en 2019 fait un bref et vif passage sur nos planches. Et FOREMAN, le spectacle corrosif de Charles Fournier, revient ouvrir son cœur d’homme.
En dire trop serait anticiper, alors qu’au TDP, nous aimons le présent, celui de vos yeux, de vos oreilles, de vos mains, de vos rires. Et nous aimons à chaque fois vous accueillir. Cette fois-ci encore plus pour – appelons-la humblement – la belle saison.
Claude Poissant, directeur artistique